mardi 13 novembre 2007

Holzwege sind Stolzwege


Voici un article déjà paru chez l'ami Systar en septembre dernier, que je souhaitais présenter à nouveau, cette fois, sur mon propre "blog".


Arpenter un chemin va toujours de paire avec le maintien d'une visée, constante, qui s'accomplit un peu plus à chaque pas. Visée, destination, but, qui sont autant d'appellations possibles d'un même premier pas. Arriver c'est alors une réussite, un accomplissement, la gloriole orgueilleuse suite au dépassement des difficultés inhérentes à la marche. Les embûches surmontées, les dédales affrontés, le pied se repose, peut s'assoupir. Pour beaucoup, chaque pas conduit intrinsèquement (ainsi devrais-je plutôt dire « doit conduire ») à un lieu destiné, fixe, marqué, sorte d'horizon dont chaque foulée s'en rapprochant serait déjà un éclat victorieux. Que serait alors un chemin dépourvu de cette visée ? Serait-il alors dépourvu de son sens ? A quoi bon marcher pour n'arriver nulle part ?

Dans la filiation dont le titre de ce papier se fait l'oriflamme, il faudrait à nouveau se demander quelle est notre occupation, est-ce marcher ou bien marcher vers ? On pourrait dire que de tels Holzwege ne permettent aucune destination (enfin là, on ne trahit personne), qu'une pensée envisagée comme telle ne permet pas de penser quelque chose. Mais ma question vaut toujours, parlons-nous de penser ou bien de penser quelque chose / à ? D'où peut venir ce besoin insistant, op-pressant d'un objet ? Il faut l'admettre, une action qui ne serait tendue vers rien, même pas vers elle-même, peut faire naître quelques inquiétudes. Le vrai problème d'une action comme penser ou marcher (le lien entre les deux n'est sûrement pas à expliciter) vient de cette volonté de chacun à toujours lui fournir un à, un vers, lui donner un objet qui va, en fin de compte, plus devenir la préoccupation principale, au détriment de l'action en elle-même. C'est alors se concevoir comme ne pouvant agir qu'en vue de, que par rapport à, mais d'ores et déjà ce n'est plus agir. Où mènerait alors cette action privée de son objet ? Elle recentrerait l'individu en son agir propre, indépendamment de sa visée ou même encore hors de toute visée, ainsi on en arrive à un retour en son sein, un recentrement sur la force propre, simple, immanente de son agir. Il faut repenser ses actions comme pouvant tirer leur force d'elles-mêmes, sans le besoin de s'en remettre à un quelconque résultat en vue qui ne se réduit alors qu'à une médiation servant au déploiement de la puissance, de la vie contenue dans l'action elle-même. Mais par voeu de conséquence, peut-être devrais-je laisser cette question sourde, tant il n'y a peut-être pas lieu de se mener vers.

Cette marche toujours devenue solitaire, privée de toute destination peut bien être appelée Stolzwege. Il faut savoir garder la tête haute en de telles circonstances, avoir à affronter ce vide, accepter de n'être que la seule source de son action. Ce courage est celui de Cassandre ou de Tiresias : parler avec justesse mais face à des sourds. Il en va de même pour le parcours de ces chemins, la vérité de l'acte est privée de son lieu d'achèvement logique. Trajet toujours tragique, qui nécessite un certain héroïsme si étranger à beaucoup. Il s'agit d'opérer ce geste de l'errance, devenir un Ahasverus innocent. Si les pas accomplis retentissent pourtant bien comme ceux d'un coupable, il faut chercher avec minutie qui pourrait bien être le plaignant. Force est de constater qu'il s'agit toujours de cet accusatif qui devient proprement accusatoire. Ce ad antique ne souffre pas la libre marche, il somme de rentrer dans des sentiers qu'il ne cesse de reconduire, de toujours tracer. Peut-être faudrait-il s'avouer que ces derniers se sont sans doute amenuisés, affaissés, à tel point que le pas pour à nouveau sonner, doive s'en affranchir.

La phénoménologie s'est parfois perdue sur ces traces de l'accusatoire, si bien que la conscience ne devait être plus que conscience de quelque chose, et ne s'en tenir qu'à cela. Si ce texte ne compte pas remettre cela en cause, la conscience n'étant jamais que reflexion, essentiellement un être-avec ; faut-il encore voir où la primauté ontologique doit se loger. Si elle n'est jamais qu'avec, il ne s'agit pas tant de s'en tenir à la simple, nécessaire relation à l'objet, mais bien plutôt d'affirmer le primat ontologique de la conscience, comme instance pour laquelle la saisie est nécessaire bien que toujours seconde. Cette analogie avec la conscience est requise, pour affirmer la légitimité d'une pensée non-accusatoire qui ne tient pas la totalité de son essence dans sa disponibilité au ad. Le grand fourvoiement est de ne plus affirmer la pensée que dans sa disponibilité à la réquisition de l'objet, si bien qu'elle n'est même plus une saisie volontaire, mais plutôt obligée par l'objet lui-même à saisir. Si la mise à disponibilité vous semble alors outrancière, exagérée, odieuse ! le débat est clos, cela signifiant que la pensée reste maîtresse d'elle-même, n'est forcée par aucun objet. Sans doute alors, ne marchez-vous plus sur le chemin du pas lourd de l'accusé, la plainte s'étant dissolue.


mercredi 27 juin 2007

Une conséquence sans cause : réflexion sur un certain cinéma japonais



A croire qu'en période estivale, je ne m'intéresse qu'aux relations logiques... Rassurez-vous, les interrogations cinématographiques sur les processus « orphelins de causalité » (sic ;) ) ne sauraient durer, sans créer entre eux une sibylline parenté, vous éclairant sur la « logique » d'ensemble de cette réflexion.



Comme beaucoup d'autres cinémas, le cinéma japonais ne tient pas toutes ses particularités dans sa seule appartenance nationale. Néanmoins son histoire, ses traditions et particularismes sociaux fournissent un ensemble qui ne trouve aucun reflet dans les autres productions cinématographiques. Il faut s'attacher pour débuter cette réflexion à un genre précis : le ninkyo-mono. Sous cette appellation il faut comprendre cet ensemble de films mettant en scène des yakuzas et présentant divers aspects de l'organisation criminelle japonaise.

Le ninkyo-mono ne s'apparente en aucun cas au mob-movies, en effet même si les deux genres reprennent le cadre d'organisation criminelle empreinte de codes et de valeurs anciennes, ils semblent s'opposer. En effet les mob-movies misent toute leur intrigue sur une causalité accrue, en effet aucun acte n'est jamais gratuit, ne se déroule hors d'une conséquentialité impérieuse ; il en est tout autrement en ce qui concerne le pendant nippon. Ce dernier semble opposer à des scènes paisibles une suivante criante de violence. Le spectateur ne sait donc où trouver le lien de l'une à l'autre. Cette absence de parenté d'une scène avec l'autre (ajoutez à cela leur succession très rapide) accentue la violence d'un acte qui ne peut qu'être apprécié à l'orée d'une gratuité cruelle. De même, toutes les actions précédentes ne sauraient expliquer l'acte violent qui sonne donc seul, sorte de fausse note dans une calme mélodie, et qui finit par recouvrir cette dernière de sa sonorité si singulière. Takeshi Kitano est assurément un de ceux qui a le plus exploité cette gratuité de l'acte violent. Les exemples affluent, mais retenons un film comme Jugatsu, où une scène heureuse laisse place à une séquence hyper-violente. Le passage à la cruauté ne s'opère pas par une dégradation de la situation entre les personnages, mais par un changement de plan subit, aussi vif qu'un coup de révolver, à laquelle succède une scène revenant à la normalité, ne laissant aucune trace de la précédente. Un film comme Aniki, mon frère, reconduit ces constatations d'hyper-violence absente de causalité, tant une réaction en appelle une autre, si souvent démesurée, que la logique censée les relier, semble s'être évaporée.

Gratuité qui recouvre même l'interaction entre les personnages, lesquels sont souvent soumis à l'arbitraire d'un autre. Ce dernier, fort et persuasif leur font souvent réaliser des actes ignobles et ensuite les punit pour l'ignominie commise. Cette figure personnifiée de l'arbitraire se transfigure encore une fois avec le personnage de Uehara joué par Kitano dans Jugatsu, forçant son compagnon à commettre un acte odieux (violer sa propre femme -celle de Uehara-) qu'il punira ensuite d'une façon tous aussi abominable. Cette métaphysique de la gratuité se dégageant de ces films, se manifeste bien souvent en créant une victime se désignant elle-même comme telle, et se métamorphosant en un bourreau implacable à la scène suivante. Schizophrénie abjecte qui fascine par ce cheminement hors des sentiers de la raison et de la sainte Logique, où le thanatos ne semble être que la seule règle à laquelle on puisse se référer en dernière instance.

mardi 12 juin 2007

Le Janus ubiquiste de Guillermo Arriagua



Guillermo Arriagua n'a pas fini de susciter mon attention, et voici avec un titre tout aussi étrange, une nouvelle note à propos de son travail dans les films précédemment présentés. Dans la Némésis inconnue je tenais à mettre en perspective une certaine unité d'action présente dans ses films. Une unité comprise dans une forme structurelle et non en son thème, en son contenu ; un point de touche dans l'action des personnages qui se laissait appréhender comme un rapport commun au monde, aux événements. En effet, chacun avait sa vie, son identité, sa fonction, mais tous se retrouvaient en ce rapport à la vie orphelin de la causalité, de la conséquence, de la logique. Mais les scénarios de Guillermo Arriagua n'ont pas qu'un rapport avec le théâtre dans ce remaniement de l'unité d'action, mais aussi dans celui de l'unité de temps et de lieu. La conception de l'agencement spatio-temporel atteint une forme de gigantisme délivrant encore une fois ce paradigme d'humanité propre à cet auteur.

Rappelons-nous les paroles d'Hugo dans sa Préface de Cromwell de 1827 qui nous expliquaient que la vraisemblance ne pouvait souffrir que tous les événements se déroulent en un lieu, qu'ils ne pouvaient pas nous plus être condensés en vingt-quatre heures. Ainsi avec Guillermo Arriagua les événements entrelacés se déroulent aux quatre coins d'une même ville ou bien encore du monde. Les événements s'entremêlent faisant fi des kilomètres, la durée diluant la distance. Chaque action fait écho à une autre se déroulant en un autre lieu, en un autre instant. C'est bien là que se situe ce gigantisme qui créé une sorte de logique interne à ces événements, les bouclant les uns aux autres et ce, hors de toute proximité ou continuité. Entrelacement baroque, si je puis dire, qui ne suffit pourtant pas à donner de visage, de justification à la Némésis évoquée plus tôt, comme si le noeud qui tentait d'être contenu, ne cessait de s'emmêler à outrance, ou bien de se délier sans raison. Gigantisme qu'un titre comme Babel évoque si bien, le spectateur se trouvant tout au long du film au sommet de cette tour, ayant un regard plongeant, suprême sur tout événement pour finalement chuter inexorablement et n'ayant pu que constater sans avoir pu rester assez longtemps en surplomb pour expliquer.

Temps privilégié qui nous offre le constat d'une humanité qui par-delà distance et durée offre encore une fois la preuve de sa même structure. On se retrouve bien tel un Janus ubiquiste, voyant chaque action, en chaque lieu, du passé comme du futur, mais ne pouvant finalement jamais fixer notre regard face à elle pour les saisir de façon suffisante. Autrement dit, malgré l'entrelacement, cette humanité ne parvient jamais à défaire le noeud ou à le reboucler, elle ne peut, à la manière du spectateur, que constater sans jamais comprendre. Elle ne reste qu'une victime de cette Némésis inconnue, elle, qui a réussi à se maintenir au sommet de la tour abolie.

mardi 29 mai 2007

La Némésis inconnue de Guillermo Arriagua


Comme le savent déjà certains, Guillermo Arriagua est le scénariste de la trilogie d'Alejandro Gonzáles Inárritu comprenant Amours Chiennes, 21 Grammes et Babel. Ajoutons qu'il est aussi le scénariste de Trois Enterrements de Tommy Lee Jones. Mais notre homme est aussi romancier, dont le premier ouvrage Un doux parfum de mort est paru en 2003. Il faut souvent être prudent dès lors que l'on souhaite établir certains grands parallèles au coeur de l'oeuvre d'un homme, dont le seul nom ne saurait assurer à lui seule l'unité de son art. Néanmoins Guillermo Arriagua, derrière ces scénarios, au trame originale, déroutante, laisse se glisser une structure plus uniforme qu'on ne le croirait au premier abord.

Chacun de ses scénarios peut se lire comme une suite d'événements ne découlant que d'un incident. Un accident dans Amours Chiennes et 21 grammes, un coup de feu dans Trois Enterrements et Babel. Points communs à chacun : ils sont fatals (ou le laisse penser) et n'ont pas d'auteurs désignés. Bien sûr, on connaît les protagonistes des accidents ou encore qui appuie sur la gâchette, mais les actes ne sont jamais intentionnels. Ainsi dans tous les cas, la victime se retrouve privée d'un véritable coupable sur lequel exercer sa rancoeur. Le coupable, ne peut éprouver de remords qu'envers lui-même, ne connaissant souvent pas la personne qui l'a blessée. C'est en ce sens qu'il faudrait saisir l'idée de cette Némésis inconnue, comme si les actes mortels n'étaient toujours que le fait du destin, d'une volonté non-humaine, transcendante. Quand bien même l'idée de transcendance chagrinerait ceux qui n'y voient que la résultante malheureuse du hasard, nieront-ils au hasard une forme de transcendance immanente, effective mais indécelable ?

Ainsi naît le drame, la victime est seule dans sa tristesse ne pouvant accomplir sa vengeance avec toute la force qu'elle le souhaiterait ; le coupable ne l'est que de façon contingente, il ne l'a pas choisi, la fortune l'a désigné comme tel. Double impuissance donc, qui fait naître un nouveau rapport au sein de notre couple maudit. Si la configuration victime/coupable est généralement prise dans un lien de haine, de rédemption et de vengeance ; dans le cas présent, la liaison est tout autre, elle se caractérise par une impuissance partagée. Le duo n'est plus la scène de l'affrontement de deux sujets libres mais plutôt celle de deux pantins du destin qui ne se croiseront jamais. La portée tragique est donc renouvelée, il ne s'agit plus d'être spectateur de deux forces qui vont se choquer, exercer leur volonté de liberté l'une sur l'autre jusqu'à ce que l'une des deux s'incline, mais plutôt de voir deux individus privés de leurs puissance de choix, que le fatum ne va réunir qu'en tissant entre eux un mince fil invisible de douleur.

Le paradigme de l'humanité se repense donc d'une façon assez peu courante au cinéma. Guillermo Arriagua nous fait accepter l'idée d'une humanité qui n'est assurément pas maîtresse de son destin, sans être pour autant contrainte à s'abdiquer au règne de la causalité. L'idée d'humanité déployée ici est celle d'êtres soumis à une contingence vaine et cruelle. Contingence qui ne se laisse pas réduire à la seule causalité, qui bien plutôt s'en détache, et apparaît ainsi d'autant plus absurde.

dimanche 27 mai 2007

Trois enterrements (The Three Burials of Melquiades Estrada) de Tommy Lee Jones


Trois enterrements est le premier long-métrage réalisé par Tommy Lee Jones (TLJ). L'acteur passe derrière la caméra, et pour ne rien vous cacher, l'essai est réussi ! Ce film fut récompensé par deux fois au festival Cannes 2005 : prix d'interprétation masculine pour TLM, et prix du scénario pour Guillermo Arriaga (21 grammes et Amours chiennes et depuis Babel). Ce n'est là, effectivement, pas une preuve d'autorité, mais remarquons que cette fois le ''gratin'' du festivaaaaallll avait vu juste !

Nous sommes au Texas, ses cowboys, ses lassos, son soleil... ce jour où Pete Perkins (joué par TLJ) est convoqué par la police pour identifier le corps de son meilleur ami Melquiades Estrada, (interprété par Julio César Cedillo). Melquiades était un mexicain clandestin ; malgré cette situation délicate, il essayait de s'intégrer au mieux. A vrai dire, c'était un 'bon gars'', honnête, gentil. Il était berger, et on ne sait pas pour quoi, il s'est fait abattre ; on l'a retrouvé près de ses chèvres dans la sierra.

Nous sommes au Texas, ses cowboys, ses lassos, son soleil... ce jour où Mike Norton (Barry Pepper), jeune policier des frontières, rustre et antipathique, scrute l'horizon afin de traquer les clandestins. Soudain un coup de feu ! Il pense qu'on lui tire dessus, riposte, tue l'assaillant.

Ce jour-là Mike n'avait pas d'assaillant face à lui, c'était juste Melquiades qui tirait sur un coyote pour protéger son élevage. Ce jour-là Melquiades, reçut une ''mauvaise'' balle d'un jeune policier des frontières.

Face à la nouvelle Pete va tout tenter afin de retrouver le tueur de Melquiades. La police, au courant de la bavure, cherche à étouffer l'affaire. Sa devise scandée par son représentant Belmont (Dwight Yoakam) : « on ne veut pas d'emmerdes ». Pete va néanmoins apprendre l'identité de l'assassin et va commencer une longue marche : faire comprendre à Mike toute la teneur de son erreur.

Une longue marche, celle d'un enterrement, celui de Melquiades qu'il va falloir ramener au Mexique. Il avait fait promettre à Pete de l'enterrer là-bas s'il venait à mourir. Pete le sait : une promesse à un mort, ça ne se trahit pas. Il embarque Mike avec lui (ou plutôt le kidnappe) et va le forcer à aller enterrer Melquiades avec lui. Une longue marche dans la sierra, celle d'une pénitence, celle de Mike.

C'est là toute l'histoire : un bourreau devient une victime. Celui qui a perdu son ami, victime orpheline en quelque sorte, devient bourreau. L'histoire d'un homme qui est poussé à expier, à aller au purgatoire. C'est là un point fort de ce film, cette alternance, servie par un jeu sans faille de TLJ et de Pepper. L'un joue avec froideur et solennité le rôle de ''l'expiateur'' (le néologisme est de rigueur) ; l'autre avec souffrance et désespoir le rôle de ''l'expiant''. Une froideur ne donnant jamais aucun écho miséricordieux à la souffrance ; solennité ne prêtant jamais aucune attention au désespoir. TLJ avec son visage vieillissant parvient à donner à ce personnage toute sa teneur et sa force. Pepper, le visage encore jeune et le corps puissant insuffle à son personnage une rage plaintive, désespérée et toujours vive.



Alternance se déroulant dans ces décors du sud des Etats-Unis où seules les montagnes et le désert peuvent vous fournir un horizon. Horizon aride, sec, où la sueur n'a pas le temps de naître. Terre destinée à la rédemption, où la marche même est une souffrance.


Si ce film touche, c'est bien par toute l'humanité de ses personnages. Pete est le rédempteur motivé par la loyauté envers un défunt ami, qui ne tuera jamais sa victime mais qui la poussera à bout afin qu'elle expie. Mike est la brebis galeuse, l'homme dans ses plus mauvais travers, mauvais mari, pas très courageux, un assez sale bonhomme en somme. Les deux se confrontent, le bon inflige au mauvais une souffrance qui doit le purger lui, et réhabiliter Melquiades au-delà de la mort. Il faut à cet homme un enterrement décent ; il ne faut pas l'oublier, la tombe est la dernière demeure. Cet homme tué par erreur, que personne ne cherche à pleurer (mis a part Pete), dont personne ne souhaite entretenir le souvenir alors qu'il était un brave gars. C'est bien cela aussi qui fait mouche dans Trois enterrements, cette humanité qui ne « veut pas d'emmerdes », qui nous révolte, mais à laquelle nous adhérons tous par moments. On se retrouve donc dans chacun de ces personnages avec plus ou moins de fierté.

On pourrait évoquer aussi la bande-son à la fois texane et se tamisant parfois pour laisser la place au son du vent fouettant les montagnes de la sierra.

Avant d'entrer dans la répétition élogieuse, je vous cède, comme le veut la coutume, la bande-annonce.

samedi 26 mai 2007

Gondry, le touche-à-tout


Comme beaucoup de personnes, j'adore recevoir des invitations. Invitations pour un anniversaire, une crémaillère, un gala, une conférence, elles me font jubiler ! A mon tour d'en envoyer une. Destinée à tous, certains l'ont peut-être déjà reçue, elle vous convie à la rencontre de Michel Gondry. Qui est-il ? Faisons simple. Michel Gondry est un réalisateur français d'une quarantaine d'années. C'est tout ?! Non, bien sûr, si ce n'était que cela, le carton que je vous adresse serait bien mince. Laissez-moi vous expliquer en quelques mots pourquoi il serait bien dommage de le refuser.

Michel Gondry débute en tant que réalisateur de clips musicaux. Il travaille tout d'abord et pour un moment avec la géniale Björk (quoi géniale ?! j'ai tout de même le droit d'avoir une chanteuse préférée, non ?!). Tout commence avec le clip Human behaviourqui témoigne de la singularité du travail de Gondry. Clip tout à fait délirant faisant cohabiter des ours en peluche géants avec des chasseurs, on y retrouve aussi Björk en train de dîner dans une sorte de cabane faite en carton-pâte ! Ces deux-là se sont bien trouvés : un réalisateur décalé avec une chanteuse qui l'est tout autant. Ils vont travailler encore ensemble sur de nombreux projets : Army of me, Hyperballad, Joga... L'ensemble des clips dénotent toujours d'un cachet particulier, la patte Gondry en quelque sorte. Remarquons la pertinence de son travail par un exemple, prenons Joga. Dans ce clip, Gondry parvient avec brio à embrasser en quelques minutes la foultitude des paysages islandais, de ses fjords à ses volcans. Il persiste dans un délire alternant vertiges, perte d'horizon ou encore décors enfantins... Il faut ici s'arrêter sur ce caractère « enfantin ». Si Gondry a bien quelque chose à lui c'est de se servir de l'enfance comme d'une source d'inspiration. Si beaucoup le font et en nourrissent leurs travaux, généralement le résultat en apparaît dépourvu et ce n'est qu'une rigoureuse exégèse de l'oeuvre qui permet de dire que X ou Y a puisé dans son enfance pour l'oeuvre A ou B. Chez Gondry, l'apparition de l'enfance est manifeste, elle saute aux yeux, et le plus étonnant est qu'il parvient à laisser aller cette nonchalance de l'enfance, à préserver son innocence. Enfance recueillie en sa pureté mais à laquelle le talent et le professionnalisme du réalisateur donnent son ampleur. Gondry parvient à maîtriser cette composante mais sans jamais l'étouffer.

Ce qui se révèle frappant dans ses clips, c'est la juste adéquation de l'image avec l'univers musical qu'elle illustre. A tel point que l'on pourrait presque se demander : si Björk chante ainsi, parcourt cet univers, n'est-ce pas en partie du à son travail avec ce réalisateur singulier ? Gondry a travaillé ensuite avec des artistes très variés allant des Stones au Daft Punk en passant par Iam.

Vous l'aurez compris notre homme est lié à la musique. Un de ses derniers films en date, Bloc Party,retrace un concert et son organisation. Ce film est évocateur sur le style Gondry et sur cet ajustement toujours idoine de la vidéo à la musique. En effet, le concert filmé se déroule à Brooklyn et réunit quelques grandes figures de la soul, du hip-hop (The Fugees, Kanye West, The Roots...), la caméra suit, toujours en rythme, si bien qu'on se retrouve, nous aussi, à hocher la tête en harmonie avec le public. Comment une caméra peut-elle être en rythme ? Tout simplement en laissant le beat venir, couler naturellement ; sans le forcer par l'image mais plutôt en en faisant le nouveau metteur en scène.



Les clips c'est bien mais ça ne dure que cinq minutes. Passons alors à ses films ! Le premier est
Human Nature. Ce long-métrage est une sorte de fable ironique sur l'Humanité (pas le journal...). Un chercheur maniaque, un peu névrosé (osons !), tente de civiliser un homme resté à l'état de nature. Sa femme, quant à elle, une naturaliste avertie, prône le « laisser aller » de la nature, il en résulte un débat entre deux conceptions de l'Humanité, de ce qu'elle est, de ce qu'elle doit être. Le film pioche son ironie, voire son cynisme, lorsque l'homme, recueilli dans son innocence originelle, devient civilisé. Il est alors en proie à tous les penchants les plus bas de l'Humanité : libido, méfiance, complot. [Je tiens à ajouter que l'adjectif bas s'inscrit dans le contexte moraliste dit « classique », qu'il ne reflète en rien mon opinion personnelle qui, au contraire, affectionnent tout à fait ces trois penchants. ] Gondry nous cède alors un regard caustique et attachant sur nous tous.

Puis il y eut Eternal sunshine of the spotless mind. Film tout à fait émouvant, où deux personnes vivent un amour aussi puissant que douloureux. La jeune femme va décider alors d'effacer, grâce à une nouvelle invention, tous les souvenirs de son amour malheureux. Le jeune homme, tout à fait désespéré, décide à son tour de recourir à ce procédé, mais une mauvaise manoeuvre engage la perte d'absolument de toute sa mémoire. Alors commence une aventure au sein même de la pensée de cette homme qui va toujours lutter pour préserver ses souvenirs contre l'avancée de cette machine qui tente de les effacer implacablement. Au fil de ses souvenirs, il se rend compte qu'il est lié à cette femme de manière indéfectible et qu'il ne peut cesser de l'aimer, qu'il ne peut être privé de cet amour. Ce film est extrêmement touchant, reflétant ce que je nommerai [encore une fois je suis de plein pied dans le subjectivisme] l'Amour parfait. Nous y voyons une aventure où tout ne va pas toujours bien, où ces deux héros se brouillent, reviennent ensemble, mais où toujours, un lien les attache, sorte d'attachement fusionnel, viscéral.

Plus récemment, notre ami Michel (c'est tout de suite plus sympa que « Gondry ») nous a livré La science des rêves où encore l'amour et lié à la mémoire. Histoire d'un jeune homme qui tombe amoureux de sa voisine mais ne sachant jamais si il est dans le domaine de la réalité ou du rêve. Ainsi quel souvenir est le bon ? A-t-il fait ceci ou cela ou bien n'est-ce qu'une part de rêve ? Si bien qu'à la fin du film, nous ne savons pas très clairement ce qu'il en est de la situation réelle !


Pour finir, je ne peux que vous conseiller si vous voulez connaître un peu mieux le « travail » de cet homme, un double DVD : The Work of Michel Gondry. (à ma connaissance il n'existe pas de version francophone, mais ce n'est pas bien grave, vu l'adorable accent anglais de notre cher Michel).



En espérant de ne pas trop avoir de retours de cartons...