Assurément, c’était le soir du vingt et un juin, au bord du canal. De l’autre côté de la rive se dessinaient des mines ahuries et béates plantées sur des corps hébétés par l’alcool et la musique tonnante. Quittant cette foule ivre d’insomnie, la discussion se poursuivit, le thème restait le même : les lectures passées, en cours, à venir. A cela pourraient s’ajouter les lectures souhaitées, avortées, entamées puis abandonnées et une foule d’autres encore différentes. Mon ami, à son habitude, se ravissait des descriptions de Crimes et Châtiments, comme il le disait souvent d'un enthousiasme résolu, elles sont nombreuses et pourtant si supportables ! La place ensuite à Pierre Michon. Nous louions sa délicatesse précise, sa finesse qui ne devient jamais précieuse. Enfin, il est limousin et cela suffisait pour recevoir notre sympathie. Vint finalement le cas « Faulkner ». Il s’agissait bien là pour moi d’un « cas », mon compère le savait. Je me plains de ne strictement rien y comprendre, de rien y voir. Car le problème que j’évoquais alors ne s’est toujours pas résolu. L’objet était clair : je n’avais rien compris à Le Bruit et la Fureur. Je n’y avais rien vu, avait parcouru l’ouvrage en aveugle tout le long. La faute non pas tant à sa narration originale mais plutôt à une sorte de cécité maladroite de ma part. Le brave Faulkner, auteur pleiadisé, résident de la littérature universelle ne devait sans doute y être pour rien. La faute à moi, petit philistin précieux ! Voici pourquoi je présentais cette situation comme un « problème ». Mon camarade me rassura, bienveillant, me vanta alors « l’incroyable ambiance » qui régnait dans Sanctuaire. Sans doute empressé, j’y vis un espoir auquel s'accrocher, peut-être aurais-je la chance d’entrer dans les vues du grand William. Ou peut-être pas. Le verdict ne fut pas long. Les quelques centaines de pages de Sanctuaire déchiffrées, je dus m’y résigner, une fois encore, je n’y avais rien lu. J’y avais bien senti les relents du sud, ses vapeurs d’alcool distillées en catimini, ses établissements de luxure, mais au-delà je n’y vis toujours rien. Je ne parvins pas à identifier les personnages, leur coller un nom sur la trogne, à prévenir leurs intentions, ou même à les distinguer. A vrai dire, le plus intéressant dans mon incompréhension est peut-être mon désir actuel d’aller jeter un œil du côté de Tandis que j’agonise, échec malheureusement annoncé, mais pourtant déjà consommé, si bien qu’il ne m’effraie guère. Peut-être parviendrais-je cette fois à voir ce que me dit Faulkner, sans quoi je ne verrai jamais en lui qu’un résident de cette grande littérature, résident à qui il n’est plus besoin que je rende visite.
vendredi 6 novembre 2009
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