Comme le savent déjà certains, Guillermo Arriagua est le scénariste de la trilogie d'Alejandro Gonzáles Inárritu comprenant Amours Chiennes, 21 Grammes et Babel. Ajoutons qu'il est aussi le scénariste de Trois Enterrements de Tommy Lee Jones. Mais notre homme est aussi romancier, dont le premier ouvrage Un doux parfum de mort est paru en 2003. Il faut souvent être prudent dès lors que l'on souhaite établir certains grands parallèles au coeur de l'oeuvre d'un homme, dont le seul nom ne saurait assurer à lui seule l'unité de son art. Néanmoins Guillermo Arriagua, derrière ces scénarios, au trame originale, déroutante, laisse se glisser une structure plus uniforme qu'on ne le croirait au premier abord.
Chacun de ses scénarios peut se lire comme une suite d'événements ne découlant que d'un incident. Un accident dans Amours Chiennes et 21 grammes, un coup de feu dans Trois Enterrements et Babel. Points communs à chacun : ils sont fatals (ou le laisse penser) et n'ont pas d'auteurs désignés. Bien sûr, on connaît les protagonistes des accidents ou encore qui appuie sur la gâchette, mais les actes ne sont jamais intentionnels. Ainsi dans tous les cas, la victime se retrouve privée d'un véritable coupable sur lequel exercer sa rancoeur. Le coupable, ne peut éprouver de remords qu'envers lui-même, ne connaissant souvent pas la personne qui l'a blessée. C'est en ce sens qu'il faudrait saisir l'idée de cette Némésis inconnue, comme si les actes mortels n'étaient toujours que le fait du destin, d'une volonté non-humaine, transcendante. Quand bien même l'idée de transcendance chagrinerait ceux qui n'y voient que la résultante malheureuse du hasard, nieront-ils au hasard une forme de transcendance immanente, effective mais indécelable ?
Ainsi naît le drame, la victime est seule dans sa tristesse ne pouvant accomplir sa vengeance avec toute la force qu'elle le souhaiterait ; le coupable ne l'est que de façon contingente, il ne l'a pas choisi, la fortune l'a désigné comme tel. Double impuissance donc, qui fait naître un nouveau rapport au sein de notre couple maudit. Si la configuration victime/coupable est généralement prise dans un lien de haine, de rédemption et de vengeance ; dans le cas présent, la liaison est tout autre, elle se caractérise par une impuissance partagée. Le duo n'est plus la scène de l'affrontement de deux sujets libres mais plutôt celle de deux pantins du destin qui ne se croiseront jamais. La portée tragique est donc renouvelée, il ne s'agit plus d'être spectateur de deux forces qui vont se choquer, exercer leur volonté de liberté l'une sur l'autre jusqu'à ce que l'une des deux s'incline, mais plutôt de voir deux individus privés de leurs puissance de choix, que le fatum ne va réunir qu'en tissant entre eux un mince fil invisible de douleur.
Le paradigme de l'humanité se repense donc d'une façon assez peu courante au cinéma. Guillermo Arriagua nous fait accepter l'idée d'une humanité qui n'est assurément pas maîtresse de son destin, sans être pour autant contrainte à s'abdiquer au règne de la causalité. L'idée d'humanité déployée ici est celle d'êtres soumis à une contingence vaine et cruelle. Contingence qui ne se laisse pas réduire à la seule causalité, qui bien plutôt s'en détache, et apparaît ainsi d'autant plus absurde.
4 commentaires:
..La désécularisation d'Arriagua !..
D'abord merci a toi pépé pour ce petit blog auquel je ne manquerai pas de participer sous peu ! J’apporterai ma touche de technicien du cinéma, et je me dirigerai plutôt vers l’esthétique.
En tout cas après lecture de ce petit article je n’ai pas pu m’empêcher de faire un rapprochement entre cette Némésis d’Arriagua et la sécularisation-désécularisation ! Je m’explique, le 20ième siècle fut bien le siècle de la sécularisation, surtout à partir des années 70. Cependant on à tendance à constater un développement du sacré c'est 10 dernières années. Je ne parle pas que d'un sacré dit "religieux" mais plutôt d'un mystique". Je citerai comme exemple les jeux du genre Héroïque Fantaisie (Warcraft III ...) ou bien les films tels Harry Potter qui remportent de large succès, et les bandes dessinés comme la série des Lanfeust ou le chant d’Excalibure… On peu aussi ajouter a ce listing les sectes qui se multiplient et qui prennent de l'envergure. Enfin de plus en plus de gens perdu dans cette "nouvelle société" ou tout va plus vite, ou l'on doit répondre coute que coute a la demande de profit, au point qu'il s'agisse d'une finalité en soit, se retrouve perdus et cherche dans le mystique une façon de se rattacher a quelque chose, de se retrouver. Il s’agit de quelque chose de rassurant !
Bref tout cela pour revenir a notre chère Arriagua. Je prendrai cette récurrente Némésis comme une preuve mystique (histoire d’appuyer mon argumentation !). Ce chère Arriagua serai il influencé par ce courant sociologique du nouveau mal de l’homme du 21ième siècle ?
En fait il s’agit plus d’une remarque que d’une argumentation, c’est une question ouverte sur laquelle j’attends vos réactions !
Tout d'abord, merci pour ton soutien en ce début d'un énième blog ; j'attends avec impatience tes participations !
Tout d'abord pour la question du nouveau Mal, je pense qu'il n'
y a rien de nouveau tant on le retrouve de L'étranger de Camus à Beckett et plus largement dans l'existentialisme. Le retour du mystique et du religieux est peut-être la réaction à cette crise de la pensée. Malraux ne disait-il pas "le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas" ?!
Quant à la lecture d'Arriagua, je ne pense pas voir en lui la volonté de réactiver une sorte de mystique, dont le concept de Némésis serait la preuve. Cela se pourrait si la Némésis n'était justement pas inconnue. Si elle montrait son visage, elle serait identifiable, on pourrait savoir qui est son expéditeur, or ce n'est pas le cas. Ainsi on se retrouve avec un bourreau, mais délivré de tout commanditaire. Ainsi l'instance sacrée censée chaperonner et donner un sens à la vengeance se trouve dissoute, est simplement absente. Enfin comme je le soulignais en dernière partie de mon papier, cette figure récurrente est plus à mon avis l'illustration d'un certain paradigme de l'idée d'humanité, plutôt qu'un constat à propos de l'homme ancré dans un temps historique donné.
Hello Aurélien; ah que je te retrouve bien là, saturant de belles analyses psychologiques de gros concepts philosophiques qui tachent... Je dois dire que tu excellas jadis dans ce créneau-là chez moi, et je suis curieux de te voir faire proliférer ici-même ta verve analytique.
Le retour de formes de spiritualités plus ou moins loufoques et l'intrusion dans la littérature de fantasy et donc dans les jeux vidéos qui en sont les petits rejetons a été abordé récemment je crois par Taguieff dans un pavé datant de l'année dernière: La foire aux illuminés. Autre fait marquant de ce retour du spirituel à deux balles dans la conviction moyenne des gens: le succès du Da Vinci Code, pièce essentielle désormais de ce dossier...
Il y aurait plusieurs choses à dire sur tout cela. A commencer par le fait qu'il faut distinguer sans doute dans les jeux vidéos des formes de spiritualité new age à deux balles qui sont exploitées à des fins commerciales, de la vraie matrice intellectuelle de toute cette esthétique, qui demeure sans conteste Le seigneur des anneaux. De celui-ci, on n'a bien voulu retenir que la magie, le paganisme ambiant, le manichéisme (par des lectures idéologisantes débiles, enfin passons), en passant trop souvent à côté de ce que raconte ce cycle: tout simplement la fuite hors du monde des forces éternelles qui habitaient le réel (les elfes) et l'avènement d'un monde humain chrétien, où le spirituel n'est plus lié à la nature, mais au rapport entre l'homme et l'esprit. C'est aussi l'entrée dans le temps de la mortalité: l'elfe immortel s'en va, seul reste l'homme, merdique, créaturel, mortel. Autrement dit, le livre qui racontait métaphoriquement la christianisation du monde est celui qui a servi, paradoxalement, de réservoir d'images à tout un immense courant de fantasy (BD, films, littérature, jeux vidéos)qui a plutôt mis en scène la paganisation du monde, ou son essence païenne, selon qu'on regarde le processus ou son résultat.
J'irais bien voir Babel, les images que j'avais vues m'avaient bien attiré, et puis un titre pareil ne peut que me titiller...
A +, donc, cher Aurélien, pour prolonger la discussion et/ou te lire lors de tes prochaines saillies blogueuses...
Aloha Bruno :)
Je pense bien continuer mes passages chez toi, malgré la naissance d'Esthénie : on ne se débarasse pas de moi comme ça ;) Je te remercie pour ce compliment "saturant de belles analyses psychologiques de gros concepts philosophiques qui tachent...", la saturation et les tâches, ce sont mes deux grandes passions.
Pour ton ajout sur "le retour du spirituel", je suis tout à fait d'accord, ton analyse du seigneur des anneaux est très probante à ce propos. Je pense aussi que le problème vient d'une recherche d'un spirituel, et ce dernier n'advenant pas, l'individu ne peut s'y résoudre et se complait dans ces formes à "deux balles" (sic ;) ). Pour en revenir à Arriagua, ce qui justement frappe chez lui c'est cette acception de la non-advenance du spirituel, et de cette vie orpheline de sens, de spirituel. L'individu ne va pas chercher chez lui à combler ce vide coûte que coûte, mais s'y soumet malgré lui, si bien qu'on peut même se demander si la recherche de ce spirituel ne fut,ne serait-ce qu'à un seul moment, consciente.
Par ailleurs, n'hésite pas quant à Babel, c'est très bien.
A bientôt l'ami :)
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