A croire qu'en période estivale, je ne m'intéresse qu'aux relations logiques... Rassurez-vous, les interrogations cinématographiques sur les processus « orphelins de causalité » (sic ;) ) ne sauraient durer, sans créer entre eux une sibylline parenté, vous éclairant sur la « logique » d'ensemble de cette réflexion.
Comme beaucoup d'autres cinémas, le cinéma japonais ne tient pas toutes ses particularités dans sa seule appartenance nationale. Néanmoins son histoire, ses traditions et particularismes sociaux fournissent un ensemble qui ne trouve aucun reflet dans les autres productions cinématographiques. Il faut s'attacher pour débuter cette réflexion à un genre précis : le ninkyo-mono. Sous cette appellation il faut comprendre cet ensemble de films mettant en scène des yakuzas et présentant divers aspects de l'organisation criminelle japonaise.
Le ninkyo-mono ne s'apparente en aucun cas au mob-movies, en effet même si les deux genres reprennent le cadre d'organisation criminelle empreinte de codes et de valeurs anciennes, ils semblent s'opposer. En effet les mob-movies misent toute leur intrigue sur une causalité accrue, en effet aucun acte n'est jamais gratuit, ne se déroule hors d'une conséquentialité impérieuse ; il en est tout autrement en ce qui concerne le pendant nippon. Ce dernier semble opposer à des scènes paisibles une suivante criante de violence. Le spectateur ne sait donc où trouver le lien de l'une à l'autre. Cette absence de parenté d'une scène avec l'autre (ajoutez à cela leur succession très rapide) accentue la violence d'un acte qui ne peut qu'être apprécié à l'orée d'une gratuité cruelle. De même, toutes les actions précédentes ne sauraient expliquer l'acte violent qui sonne donc seul, sorte de fausse note dans une calme mélodie, et qui finit par recouvrir cette dernière de sa sonorité si singulière. Takeshi Kitano est assurément un de ceux qui a le plus exploité cette gratuité de l'acte violent. Les exemples affluent, mais retenons un film comme Jugatsu, où une scène heureuse laisse place à une séquence hyper-violente. Le passage à la cruauté ne s'opère pas par une dégradation de la situation entre les personnages, mais par un changement de plan subit, aussi vif qu'un coup de révolver, à laquelle succède une scène revenant à la normalité, ne laissant aucune trace de la précédente. Un film comme Aniki, mon frère, reconduit ces constatations d'hyper-violence absente de causalité, tant une réaction en appelle une autre, si souvent démesurée, que la logique censée les relier, semble s'être évaporée.
Gratuité qui recouvre même l'interaction entre les personnages, lesquels sont souvent soumis à l'arbitraire d'un autre. Ce dernier, fort et persuasif leur font souvent réaliser des actes ignobles et ensuite les punit pour l'ignominie commise. Cette figure personnifiée de l'arbitraire se transfigure encore une fois avec le personnage de Uehara joué par Kitano dans Jugatsu, forçant son compagnon à commettre un acte odieux (violer sa propre femme -celle de Uehara-) qu'il punira ensuite d'une façon tous aussi abominable. Cette métaphysique de la gratuité se dégageant de ces films, se manifeste bien souvent en créant une victime se désignant elle-même comme telle, et se métamorphosant en un bourreau implacable à la scène suivante. Schizophrénie abjecte qui fascine par ce cheminement hors des sentiers de la raison et de la sainte Logique, où le thanatos ne semble être que la seule règle à laquelle on puisse se référer en dernière instance.