Voici un article déjà paru chez l'ami Systar en septembre dernier, que je souhaitais présenter à nouveau, cette fois, sur mon propre "blog".
Arpenter un chemin va toujours de paire avec le maintien d'une visée, constante, qui s'accomplit un peu plus à chaque pas. Visée, destination, but, qui sont autant d'appellations possibles d'un même premier pas. Arriver c'est alors une réussite, un accomplissement, la gloriole orgueilleuse suite au dépassement des difficultés inhérentes à la marche. Les embûches surmontées, les dédales affrontés, le pied se repose, peut s'assoupir. Pour beaucoup, chaque pas conduit intrinsèquement (ainsi devrais-je plutôt dire « doit conduire ») à un lieu destiné, fixe, marqué, sorte d'horizon dont chaque foulée s'en rapprochant serait déjà un éclat victorieux. Que serait alors un chemin dépourvu de cette visée ? Serait-il alors dépourvu de son sens ? A quoi bon marcher pour n'arriver nulle part ?
Dans la filiation dont le titre de ce papier se fait l'oriflamme, il faudrait à nouveau se demander quelle est notre occupation, est-ce marcher ou bien marcher vers ? On pourrait dire que de tels Holzwege ne permettent aucune destination (enfin là, on ne trahit personne), qu'une pensée envisagée comme telle ne permet pas de penser quelque chose. Mais ma question vaut toujours, parlons-nous de penser ou bien de penser quelque chose / à ? D'où peut venir ce besoin insistant, op-pressant d'un objet ? Il faut l'admettre, une action qui ne serait tendue vers rien, même pas vers elle-même, peut faire naître quelques inquiétudes. Le vrai problème d'une action comme penser ou marcher (le lien entre les deux n'est sûrement pas à expliciter) vient de cette volonté de chacun à toujours lui fournir un à, un vers, lui donner un objet qui va, en fin de compte, plus devenir la préoccupation principale, au détriment de l'action en elle-même. C'est alors se concevoir comme ne pouvant agir qu'en vue de, que par rapport à, mais d'ores et déjà ce n'est plus agir. Où mènerait alors cette action privée de son objet ? Elle recentrerait l'individu en son agir propre, indépendamment de sa visée ou même encore hors de toute visée, ainsi on en arrive à un retour en son sein, un recentrement sur la force propre, simple, immanente de son agir. Il faut repenser ses actions comme pouvant tirer leur force d'elles-mêmes, sans le besoin de s'en remettre à un quelconque résultat en vue qui ne se réduit alors qu'à une médiation servant au déploiement de la puissance, de la vie contenue dans l'action elle-même. Mais par voeu de conséquence, peut-être devrais-je laisser cette question sourde, tant il n'y a peut-être pas lieu de se mener vers.
Cette marche toujours devenue solitaire, privée de toute destination peut bien être appelée Stolzwege. Il faut savoir garder la tête haute en de telles circonstances, avoir à affronter ce vide, accepter de n'être que la seule source de son action. Ce courage est celui de Cassandre ou de Tiresias : parler avec justesse mais face à des sourds. Il en va de même pour le parcours de ces chemins, la vérité de l'acte est privée de son lieu d'achèvement logique. Trajet toujours tragique, qui nécessite un certain héroïsme si étranger à beaucoup. Il s'agit d'opérer ce geste de l'errance, devenir un Ahasverus innocent. Si les pas accomplis retentissent pourtant bien comme ceux d'un coupable, il faut chercher avec minutie qui pourrait bien être le plaignant. Force est de constater qu'il s'agit toujours de cet accusatif qui devient proprement accusatoire. Ce ad antique ne souffre pas la libre marche, il somme de rentrer dans des sentiers qu'il ne cesse de reconduire, de toujours tracer. Peut-être faudrait-il s'avouer que ces derniers se sont sans doute amenuisés, affaissés, à tel point que le pas pour à nouveau sonner, doive s'en affranchir.
La phénoménologie s'est parfois perdue sur ces traces de l'accusatoire, si bien que la conscience ne devait être plus que conscience de quelque chose, et ne s'en tenir qu'à cela. Si ce texte ne compte pas remettre cela en cause, la conscience n'étant jamais que reflexion, essentiellement un être-avec ; faut-il encore voir où la primauté ontologique doit se loger. Si elle n'est jamais qu'avec, il ne s'agit pas tant de s'en tenir à la simple, nécessaire relation à l'objet, mais bien plutôt d'affirmer le primat ontologique de la conscience, comme instance pour laquelle la saisie est nécessaire bien que toujours seconde. Cette analogie avec la conscience est requise, pour affirmer la légitimité d'une pensée non-accusatoire qui ne tient pas la totalité de son essence dans sa disponibilité au ad. Le grand fourvoiement est de ne plus affirmer la pensée que dans sa disponibilité à la réquisition de l'objet, si bien qu'elle n'est même plus une saisie volontaire, mais plutôt obligée par l'objet lui-même à saisir. Si la mise à disponibilité vous semble alors outrancière, exagérée, odieuse ! le débat est clos, cela signifiant que la pensée reste maîtresse d'elle-même, n'est forcée par aucun objet. Sans doute alors, ne marchez-vous plus sur le chemin du pas lourd de l'accusé, la plainte s'étant dissolue.
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