Après une longue absence, je vous présente un bref travail sur la figure du sage chez Aristote. Figure pour le moins intéressante, tant elle est marginale en terme de "voluminosité" dans l'oeuvre, et tant elle est néanmoins ontologiquement importante.
Au premier abord, il peut sembler curieux de vouloir examiner la solitude chez un philosophe comme Aristote. En effet, dans l'ensemble de réflexions que le stagirite a transmis à la postérité, on trouve une pensée élaborée de la vie en communauté. Combien de fois trouvera-t-on dans un corpus de citations d'Aristote que « l'homme est un animal politique » ! Ailleurs, on présentera ce penseur comme celui de la philia. Dès lors, forger l'expression « solitude aristotélicienne » semble laisser présager une certaine étrangeté. Pourtant il s'agit bien du même penseur qui, dans son examen de la vie heureuse, proclame à la fin de celui-ci que l'homme le plus heureux n'est pas celui qui vit au coeur des affaires de la Cité, mais celui qui mène une vie hors du commerce des hommes ; en bref, celui qui touche de plus près le bonheur véritable n'est pas le politicien mais le sage. Autrement dit, pour Aristote, l'image du sage, seul en sa tour d'ivoire, est celle qui est le plus adéquate avec l'idée de bonheur. Malgré cela, aussi bien l'opinion commune que les recherches les plus abouties, semble privilégier un Aristote politique, plutôt que contemplatif, à tel point que le néophyte pourrait ne pas soupçonner qu'en dernier instance le bonheur aristotélicien réside en une sorte de béatitude. De nombreuses raisons peuvent expliquer cela. D'une part, du corpus aristotélicien ressort un constat : la part qu'alloue Aristote à sa pensée proprement politique est bien plus grande que celle qu'il ménage pour l'examen de la vie du sage1. D'autre part, la solitude n'est la condition que du sage, lequel est une exception au sein du groupe humain.
Il faut alors se demander comment Aristote en vient à donner la palme de la vie la plus heureuse à Thalès et non à Périclès2. Qu'est-ce que cette primauté accordée à la vie en solitaire signifie-t-elle ? S'explique-t-elle grâce à une vue plus large de la philosophie aristotélicienne que celle strictement restreinte à l'éthique ? En plus de cette exigence d'explication, il s'agit aussi de voir quelles sont les implications existentielles de ce choix philosophique. En effet, ériger la solitude comme composante de la félicité, et ce au détriment de la vie en communauté, surprend par trop d'aspects pour ne pas être interrogé.
Afin de mener une telle enquête, il faut tout d'abord élaborer une approche génétique de ce bonheur contemplatif ; quelles sont les raisons de sa perfection ? Et pourquoi ? Une fois cette mise au point faite, il faut tâcher d'interpréter cette rupture avec le commerce humain, en quoi cette coupure d'avec le monde fait-elle sens dans cette quête de bonheur ? Enfin, la mise en concurrence, si l'on peut dire, de deux types de vies – politique et théorétique – peut-elle se résorber dans une sorte de choix de vie que l'homme pourrait faire (au sens où chacun choisirait la vie qui lui plaît), ou bien y a-t-il une véritable hiérarchie entre ces deux styles de vie ?
La suite prochainement...
1En effet, on ne trouve de développements concernant le sage qu'au livre X de l'Éthique à Nicomaque ou en Métaphysique Α, tandis que la place occupé par le phronimos s'étend des Politiques aux deux éthiques.
2Chacun incarnant respectivement la figure du sage (sophos) et de l'homme prudent (phronimos)
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