La même justice pour tous : l'isonomie.
La réflexion d'Aristote, bien que singulière, n'en est pas moins celle d'une époque où l'idée de justice se transforme radicalement. Elle fut assurément nourrie par les réformes institutionnelles qu'a connues Athènes au VIe siècle avant J.-C., en particulier par l'avènement de l'isonomie démocratique, c'est-à-dire le moment où la loi (nomos) devient la même (iso) pour tous, en somme l'égalité devant la loi. On peut voir dans l'élaboration de l'isonomie, l'apparition de préoccupations nouvelles, notamment celle de l'effectivité de cette égalité légale. La première étape de la mise en place de l'isonomie s'est déroulée en 594 avant J.-C. avec les réformes promulguées par Solon. Ce dernier exigea que les lois s'appliquassent à tous les citoyens, nobles ou plus modestes. Cette nouvelle élaboration de la justice eut pour fin de résoudre la crise sociale entre les Eupatrides et les nobles, son premier objectif fut de permettre à la cité de ne pas céder à la sédition. Néanmoins cette égalité face à la loi n'était pas une égalité politique pour autant : le pouvoir était soumis au cens, ainsi seuls les citoyens les plus riches y prenaient part. La seconde étape de l'isonomie, menée par Clisthène en 508 et 507 avant J.-C., visa à faire de cette égalité face à la loi, une véritable égalité politique. Dès lors, l'ensemble des hommes libres de plus de dix-huit ans purent prendre part au pouvoir. L'isonomie ainsi comprise s'étendit alors à la cité toute entière, ne se limitant plus à une poignée d'oligarques. Il faut préciser que par « cité toute entière », on ne comprend paradoxalement ni les femmes ni les esclaves ni les métèques. Penser par conséquent qu'on ne peut alors pas parler d'égalité politique du fait de l'exclusion de certains groupes d'individus serait commettre un anachronisme, ce serait calquer notre conception moderne de l'égalité politique sur celle des anciens Grecs. Or, il ne s'agit pas là de « comparer l'incomparable »1.
Ce qu'illustre l'isonomie c'est une nouvelle répartition des pouvoirs politiques, une plus juste distribution. Ce caractère distributif du pouvoir et de la justice est donc en parfaite rupture avec l'idée d'une justice émanant d'un pouvoir transcendant, hors d'atteinte. La justice demeure sacrée, car elle est ce qui règle la communauté, mais devient immanente. Ce n'est donc pas encore une justice sociale comme on l'entend de nos jours, mais c'est déjà une justice dans la cité et portée par chaque citoyen.
1Nous reprenons ici l'expression de Marcel Detienne extraite de l'ouvrage éponyme Comparer l'incomparable, Paris, Editions du Seuil, coll. « La librairie du XXe siècle », 2000
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