samedi 23 janvier 2010

Aristote : les prémisses de la justice sociale ? - III

Aristote justice sociale


Genèse de la justice

La légalité de l'égalité

Avec l'isonomie ce qui est au fond entériné c'est que la légalité doive se penser en tant qu'égalité, que ces deux notions sont indissociables. C'est bien cette conception de la justice qui fait écrire à Aristote : « Le juste (dikaios), donc, est ce qui est conforme à la loi et ce qui respecte l'égalité (isos) […]. »1 A la source de la justice se tient une équivalence de la légalité et de l'égalité. Mais la justice ne peut pas seulement se restreindre à un fondement à la forme axiomatique, ce qui nous pousserait à la penser comme une entité immuable, immobile. Elle doit s'élaborer comme un rapport entre un acte et une situation, elle est donc une entité en mouvement, en relation avec plusieurs termes : l'agent, les autres citoyens, les biens et la situation où l'acte a lieu. La justice est pour Aristote une disposition de l'agent à « exécuter les actes justes, c'est-à-dire qui entraîne à agir justement et à souhaiter tout ce qui est juste »2. Autrement celui qui est disposé à agir justement est celui qui trouvera dans les limites de la légalité la façon d'agir avec égalité, de façon équitable. Élaborer une action juste c'est élaborer une action qui se veut équitable pour les différents partis en présence, elle est donc « une sorte de moyenne », en un sens presque littéral. Cette moyenne est justement celle du rapport entre les différents termes, plus précisément entre quatre termes selon Aristote :


  • Il faut donc nécessairement que le juste implique à tout le moins quatre termes, puisque les personnes pour lesquelles une répartition se trouve juste sont au moins deux et que les choses impliquées forment deux parts.3


Le rapport d'équivalence entre les biens s'établit en fonction du rapport entre les personnes. L'injustice naît justement d'un dérèglement de ce rapport d'équivalence. Mais si le rapport « Agent A / Agent B » doit guider le rapport « Bien C / Bien D » ; cela implique qu'un rapport entre deux personnes dotées de qualités dicte le rapport entre deux quantités. Le qualitatif guide donc le quantitatif. Cela pose cependant la question de savoir quel va être l'étalon permettant de juger de ce rapport qualitatif. L'étalon va être le mérite, lequel varie selon les différents régimes : en démocratie, c'est la condition libre ; dans une oligarchie, c'est la richesse ou la qualité du lignage ; dans une aristocratie, c'est la vertu. Cela signifie-t-il pour autant que l'isonomie qui déclare l'égalité des agents déclare par là même la stricte égalité des biens ? Étant donné que les agents concernés sont tous de mérité égal, car tous de condition libre, la légalité doit-elle alors mener à une égalité rigoureuses des biens ? Aristote ne le dit pas, mais nous verrons plus tard qu'en tout cas ne pas tenir compte un minimum de cette équivalence peut avoir de fâcheuses conséquences.

1ARISTOTE,Éthique à Nicomaque, V, 2, 1129a

2Ibid., V, 1, 1129a

3Ibid.,V, 6, 1131a


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