dimanche 2 mars 2008

La perception des droits de l'homme par les contre-révolutionnaires - I



Voici une rapide approche de la perspective des droits de l'homme par les contre-révolutionnaires. J'avoue que l'ami Systar m'appelant le "dépoussiéreur officiel d'auteurs politiquement moisis" m'a quelque peu poussé à publier ce papier.



Les droits de l'homme ont actuellement en philosophie politique un statut particulier, ils sont un corpus de textes que personne n'ose raisonnablement remettre en cause, que chacun a d'ors et déjà accepté avant même de débattre, sorte de base au dialogue sans cesse postulée, toujours en deçà de toute parole. Ceux qui s'opposent à ces droits, s'il y en a, ne peuvent pas l'avouer au grand jour, sinon quoi ils sont désignés comme « ennemis de l'Humanité ». Si le trait est ici un peu forcé, il faut reconnaître que l'individu qui désirera remettre en cause l'égalité de tous entre tous et les libertés individuelles fondamentales sera mis au ban de toute discussion et cela au nom de bonnes intentions. Remettre en cause ces droits, plus que l'affirmation d'une position iconoclaste, cela représente un danger pour la communauté humaine dans son ensemble. Cela fait en effet quelques décennies que ces droits sont acceptés et sont sans cesse réaffirmés depuis les atrocités du XXe siècle. Le XXIe siècle semble avoir accepté l'idée de cet homme qui naît au XVIIIe siècle, celle d'un individu majeur, autonome et responsable car libre. Dans ce contexte, le regard rétrospectif porté sur les contre-révolutionnaires n'est pas extrêmement bienveillant. Ils sont souvent vus comme des rétrogrades, si peu en accord avec leur époque, elle, qui a pourtant enfanté des droits de l'homme. Réactiver leur pensée serait donc raviver un danger. Cette inquiétude semble fondée à juste titre, tant les réflexions de ces hommes sont reprises, instrumentalisées, par des mouvements souvent peu recommandables. Ainsi pour saisir leur perception de ces droits, il faut la recontextualiser, accepter un certain retour chronologique sans lequel nous resterons aveugles et sourds à leur pensée. Pour saisir leur point de vue, il faudrait oublier que nous sommes pétris de cette conception de l'Humanité, que notre pensée s'est toujours, avant tout débat, accordée avec ces droits. Les travaux à ce propos sont assez éclairants, car on en trouve très peu qui arrivent à se départir de ce sentiment premier, intuitif, de rejet envers ces penseurs. Le premier geste à accomplir serait donc de retrouver une certaine acuité et de relire ces auteurs avec une certaine générosité, ayant bien à l'esprit que leurs réflexions sont celles d'une certaine époque et que le sens qu'elles pouvaient avoir alors, n'est sans doute pas le même qu'elles pourraient avoir aujourd'hui.

Examiner les droits de l'homme à partir du camp adverse permet de retrouver un débat qui ne fut pas seulement celui de deux conceptions politiques opposées et ancrées dans un certain temps historique, mais aussi celui de deux réflexions philosophiques quant à l'homme et par voie de conséquence au droit. Sur ce point, la réflexion autour des droits de l'homme est pour l'époque profondément novatrice. Les penseurs contre-révolutionnaires réagissaient avant 1770 aux révolutions particulières se déroulant dans leur pays et n'ayant d'incidence possible que sur un sol national déterminé, avec les droits de l'homme visant à l'universalité, la réaction est autre puisque le débat n'est plus simplement politique mais anthropologique. Si un penseur de la contre-révolution envisage le droit comme devant se régler sur une coutume, une habitude sans cesse reconduite par l'expérience, que peut-il répondre à l'histoire quand elle lui présente les déclarations américaines de 1776 ? Doit-il admettre que les faits forcent au changement ou bien est-ce juste une étape d'un cycle historique plus ample ? Encore faudrait-il faire preuve d'une grande prudence, tant la notion même de droit de l'homme reste problématique : Burke n'est en rien hostile aux droits de l'homme mais ne soutient pas la révolution. La discussion entre les contre-révolutionnaires et les droits de l'homme est bien celle de deux conceptions de l'humanité (conceptions qui elle-même connaissent leurs propres ramifications), qui dans certaines de leurs composantes, continuent à débattre encore aujourd'hui entre communautariens et libéraux, mais aussi celle de deux philosophies de l'histoire, l'une cyclique, l'autre linéaire.

Si l'on s'attache à la perception des droits de l'homme par les contre-révolutionnaires, c'est afin de rappeler qu'elle n'est pas monolithique. Ainsi leur rapport à ces droits n'est pas aussi unilatéral qu'on peut le croire. Unilatéralité qui ne serait qu'une chimère réductrice tant on devrait plutôt parler « des » perceptions des droits de l'homme par ces penseurs. Si chacun se dresse contre ces droits, c'est la plupart du temps pour les mêmes causes mais souvent de façons bien différentes. Cette pluralité annoncée de perceptions amène donc à s'interroger alors sur la notion de « contre-révolutionnaire ». Si ces perceptions sont diverses, quel élément permet de réunir ces hommes ? Qu'ils soient partisans d'un conservatisme historique, du despotisme éclairé ou encore de l'absolutisme intégral, leurs pensées se recoupent souvent aux mêmes points (importance que doit jouer la religion dans la société ; condamnation de l'abstraction des philosophes ; poids de la tradition). Dans cette perspective de contextualisation, il faudrait sans doute préciser que l'on ne parle des « contre-révolutionnaires » que par facilité, car bien qu'ayant souvent les mêmes convictions, ces hommes n'avaient pas du tout la volonté d'être en accord entre eux, d'ériger une « école ». Néanmoins certains auteurs peuvent être rapprochés de manière évidente (par exemple Burke et Rehberg), mais ne voir en l'un que le successeur de l'autre fait parfois oublier son apport particulier.

Cependant une telle approche strictement historique consistant à créer une typologie de ces différents penseurs, selon leurs points de convergences ou d'affrontement aux droits de l'homme, ne saurait être satisfaisante et ne pourrait avoir qu'une fonction apéritive. Mais dès lors qu'on examine la critique de la rationalité des Lumières, incarnée par les différentes déclarations, on saisit l'importance d'une nouvelle approche de ces auteurs. Ce qui se révèle intéressant ce n'est pas tant la critique en soi, mais bien plutôt au nom de quoi elle se profère et surtout ce qu'elle propose en retour.



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