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dimanche 9 mars 2008

La perception des droits de l'homme par les contre-révolutionnaires - IV



Ultimes remarques sur notre petit trajet entre Maistre et Robespierre...



La critique des droits de l'homme par les contre-révolutionnaires est bel et bien disparate, tant les griefs évoqués sont de nature diverse. C'est cette diversité même qui peut susciter encore l'intérêt pour l'étude de ce mouvement. En effet elle s'inscrit dans la lignée directe de la querelle du panthéisme et de l'anti-rationalisme, notamment sur des points comme la condamnation de l'abstraction et le fait de manquer le réel. Mais elle est aussi une des sources de la naturalisation originelle de l'homme1, l'une des thèses principales du romantisme. Aujourd'hui, cette conception de l'homme comme universellement particulier peut nous interpeller. Il serait bon de faire débattre cette vision avec les héritiers de son adversaire ; comment les libéraux actuels résolvent-ils cette critique ? Le problème de l'appartenance irréductible de chacun n'a peut-être jamais été autant saisissant, le contexte multiculturel faisant se confronter diverses cultures. Force est de constater que si l'appartenance ne jouait en rien dans l'humanité des individus, la planète serait bel et bien un véritable village global, or nous en sommes bien loin. Le problème semble se résoudre, si on saisit que l'appartenance et l'universalité ne sont pas contradictoires et que cette opposition est simplement non pertinente. L'universalité vise la structure de l'individu ; l'appartenance, quant à elle, est la particularisation de cette structure. C'est bien là la thèse romantique qui resurgit : l'idée d'humanité est celle d'une universalité qui n'existe qu'en s'individualisant. Ce que reprochent véritablement les contre-révolutionnaires aux Lumières dans cette controverse des droits de l'homme, ce n'est peut-être pas tant d'avoir affirmé l'universalité de certains droits, que de les avoir déterminer ; de n'avoir pas conçu un homme abstrait mais plutôt idéalisé, lui rajoutant certains prédicats de façon arbitraire. Dans le débat libéral contemporain, cela reviendrait à dire, par exemple, que l'universel démocratique est purement formel, au sens où il serait une structure sur laquelle viendrait se greffer des contenus particuliers. Mais ce vide de contenu préalable n'anéantit pas pour autant l'existence de la structure.2 La critique contre-révolutionnaire apparaît ainsi comme un appel à la prudence, comme une mise en garde contre les prétentions d'une raison trop sûre d'elle-même, plutôt que comme son refus pur et simple.





1Voir, pour plus de précisions, le texte de Robert Legros « La naturalisation comme origine de l'homme » (Ibid., p.101 et suivantes).

2A ce propos, voir le développement de « l'universel vide » ayant pour rôle de « servir à la fois de repère et de critère pour juger la réalité positive (historique) » in FERRY Luc, RENAUT Alain, Philosophie politique. Des droits de l'homme à l'idée républicaine, P.U.F., Paris, 1992, p.177

vendredi 7 mars 2008

La perception des droits de l'homme par les contre-révolutionnaires - III



La bivalence de l'histoire



L'abstraction étant rejetée, seule l'histoire dans sa variabilité peut répondre aux questions de droits et de régimes. La difficulté de répondre aux interrogations politiques ne peut pas se résoudre par de simples règles de la Raison, il faut appréhender l'histoire dans sa mutabilité intrinsèque :



Mais comme les libertés et les restrictions varient avec les époques et avec les circonstances et qu'elles admettent les unes comme les autres une infinité de modifications, il n'existe pour les définir aucune règle abstraite ; et rien n'est si insensé que d'en disserter en pure théorie.1



La constitution d'une Cité ne peut donc se mener qu'en recourant à l'histoire, qui revêt ici les allures d'une transcendance immanente, cette dernière étant différente sur chaque sol national. L'histoire, au-delà de la place qu'elle occupe dans l'argumentaire contre-révolutionnaire, accède à un statut ontologique nouveau, elle est fondatrice. Elle ne doit pas s'appréhender comme une succession de moments discontinus, chacun étant, au contraire, fondamentalement lié au précédent. Rehberg est à ce propos éclairant : « chaque génération pose les fondements de ce que fera la prochaine, et la suivante ne peut construire que sur ce que les précédentes ont fait. »2 Ainsi la proclamation des droits de l'homme, conçue comme une rupture avec tout l'ordre historique précédent, ne peut être qu'une erreur. Si les contre-révolutionnaires attachent une telle importance au donné empirique, comment vont-il pouvoir intégrer cet élément de scission dans leur vision de l'histoire ? Ils en font en quelque sorte l'exception qui confirme la règle, en en faisant un « météore passager »3, autrement dit une sorte de curiosité de l'histoire, qui est reprise dans une conception plus large de cette dernière, laquelle réduira cet événement à une simple étape du grand cycle du temps. Ainsi, si les révolutionnaires conçoivent les déclarations des droits de l'homme comme un moment unique et nouveau, cela ne montre qu'un peu plus à quel point ils sont dupes : ils se trompent sur la question du régime, mais encore plus fondamentalement sur le sens et le mouvement de l'histoire.

Si l'histoire est l'entité fondatrice d'un peuple, elle l'est aussi celle de chaque homme. Selon les critiques des droits de l'homme, l'individu ne doit pas être envisagé comme un atome qui, avant d'être pris dans une nation, est avant tout une entité autonome et libre. Maistre l'explique d'une façon qui n'est pas sans rappeler Diogène de Sinope : « la constitution de 1795, tout comme ses aînées est faîte pour l'homme. Or il n'y a point d'homme dans le monde »4. L'homme doit se comprendre comme toujours en rapport avec son histoire propre : « l'être humain n'est véritablement homme que s'il a une histoire qui lui accorde une certaine distinction »5. Cet argument désigne alors les droits de l'homme comme un amoindrissement de la dignité humaine car ils lui ôtent sa richesse historique. On distingue ici nettement une critique des droits de l'homme qui sera reprise, dans une certaine mesure, par Arendt quand elle parlait de la réduction de l'individu au biologique : saisir les hommes hors de leur histoire revient à les comprendre seulement comme des corps indistinguables les uns des autres. En plus de ce fourvoiement sur l'ontologie humaine, les droits de l'homme vont faire naître les plus grandes déceptions, tant « la société civile ne se compose pas d'individus isolés, nés égaux entre eux, [...] elle se compose de lignées. »6De tels droits risquent alors de faire naître une certaine rancoeur au sein des citoyens les plus pauvres, et par conséquent de rompre la stabilité séculaire des sociétés. La critique romantique de l'abstraction des Lumières, emboîte directement le pas à celle-ci : l'universalité de l'humanité tient en ce que chaque homme s'accomplit dans une particularisation historique, géographique...7 Les déclarations des droits de l'homme esquisse une humanité qui n'en est donc plus vraiment une, car elle est proprement déshumanisée. Ainsi, en voulant s'adresser à tous les peuples, elle n'en touche aucun. De plus, nul homme ne pourrait si reconnaître, étant déjà pris dans un peuple, une langue ; quel pourrait être alors le sens d'un texte qui l'en extraie ?





1Ibid., p. 76

2REHBERGAugust Wilhelm, Recherches sur la Révolution française, trad. fr. L. K. Sosoe, Paris, Vrin, 1999, préf. A. Renaut.? p. 104.

3La formule de Maistre est intéressante sur cette question : « En général, tous les gouvernements démocratiques ne sont que des météores passagers, dont le brillant exclut la durée ».(MAISTRE Joseph De, De la souveraineté du peuple, un Anti-contrat social, Op. cit., p.240)

4MAISTRE Joseph De, Considérations sur la France, Paris, Imprimerie Nationale, coll. « Acteurs de l'histoire » 1994, présentation d’Alain Peyrefitte, Édition de 1797, p. 96.

5Voici une formule de Lukas K. Sosoe (in REHBERGAugust Wilhelm, Recherches sur la Révolution française, Op. cit., p.62 ) à propos de la conception de l'homme par Rehberg, montrant bien à quel point l'homme ne se comprend toujours que selon une ontologie de la particularisation.

6Ibid., p.109

7Quant l'ontologie de la particularisation, notons la très bonne formule de Robert Legros « Dire que l'universalité humaine advient par une particularisation, c'est dire, dans les termes de la métaphysique, que la substance réside dans ses accidents, que le substantiellement humain (l'essentiel) se disssout et disparaît quand les particularités (les accidents) se perdent. » (LEGROS Robert, L'idée d'humanité, Paris, Grasset, 1990, réed. « Le livre de poche », 2006, p.106-107).